Hilarante satire du pouvoir à travers les rapports qu’entretiennent les gens soumis à la dictature du travail.
« Chômage » est une comédie qui réjouira même celles et ceux qui le vivent au quotidien. Ils reconnaîtront sans peine dans cette succession de tableaux réalistes, leurs propres galères et tribulations. Inspirés de leur vécu de chômeurs chroniques, les trois comédiens auteurs de cette comédie, Bernard Breuse, Stéphane Olivier et Pierre Sartenaer, ont commencé à écrire, il y a quatre ans sur un sujet difficile, le chômage. A travers lui, ils dépeignent les relations de pouvoir dans la société capitaliste. Habile et drôlissime confrontation voire collision des visions d’une même situation par ses différents acteurs : le chômeur, le placeur, le syndicaliste, le ministre de l’Emploi, le patron, le Président de la République…
« Chômage », le titre de la pièce, s’il a le mérite d’être clair, n’a évidemment rien de drôle. « Nous avons écrit des pages de titres », se souvient Stéphane Olivier, metteur en scène, auteur et comédien. « L’autre titre envisagé était ‘travail’, je trouvais que c’était triste et vraiment pas drôle. Il est certain que cela faisait partie de notre plaisir de jouer sur une ambiguïté du propos qui traite en même temps d’une chose de manière comique quand la chose ne l’est pas du tout. Le chômage, c’est vraiment pas drôle, on ne peut donc plus qu’en rire d’une certaine manière».
Pourquoi écrire une pièce sur le chômage ?
« Nous nous sommes rendus compte que la seule chose dont nous parlions tout le temps, c’était nos problèmes de chômage, du dernier gag qui nous est arrivé à l’ORBEM (NDLR: Actiris avant son rebranding), et nous partagions nos tuyaux. C’est assez quotidien pour nous, même en travaillant beaucoup », raconte Stéphane Olivier.
« Les années où j’ai beaucoup tourné, j’ai totalisé huit mois de chômage pour quatre mois de travail. Nous vivons tous les avatars que connaît le chômeur. Dans le temps, les comédiens avaient le même code au chômage que celui des travailleurs saisonniers de l’agriculture. Il existe une disposition qui est réservée aux artistes qui ne connaissent que des contrats de très courte durée. Il est extrêmement difficile d’entrer dans ces conditions, plus favorables. Dans notre équipe de dix, seulement trois personnes en bénéficient. Ce qui nous semblait intéressant, c’est que nous sommes à la fois comédiens et chômeurs.
Nous voulions faire une pièce sur la façon dont les gens ont des discours très différents sur le chômage suivant le point de vue où on se place. Nous avions l’impression que le bureau de pointage est dramaturgiquement intéressant parce que c’est le lieu de rencontre entre les ex-travailleurs et le pouvoir. C’est l’axe où tous tes mouvements se font. Et nous voulions faire une comédie un peu boulevard, donc nous ne nous sommes pas contentés de présenter des chômeurs qui se lamentent sur leur sort. »
Vous décrivez la dictature du travail, sans proposer d’alternative.
« Nous sommes tombés d’accord sur le fait que quels que soient les projets politiques, tous nient la réalité de l’individu. Il n’y a plus de projet réellement démocratique à droite ou à gauche. Il fallait montrer que dès l’instant où quelqu’un prend des décisions à la place des gens, c’est une dictature.
Sur le plan politique, à la différence de la plupart des marxistes, nous ne croyons pas en la valeur politique de l’avant-garde, même si, pour la plupart, nous sommes quand même d’accord avec la dictature du prolétariat. Nous sommes tombés d’accord sur assez peu de chose, chacun amène ce qu’il est, démocrate, pas démocrate, anar, etc.
Le rôle du théâtre n’est pas de faire le travail des politiciens, mais bien de dire que les politiciens ne font pas leur travail.
Proposer une alternative plutôt que critiquer nous paraissait dangereux car nous nous mettions alors dans la position que nous critiquons. A l’instar du personnage de Walter (N.D.L.R. : le prophète du Bonheur) qui dit “j’ai compris”. Je n’ai pas l’impression d’entendre beaucoup de gens capables de dire : “je fais juste une proposition” et que les personnes entendent que c’est juste une proposition. Quand le PRL (NDLR: MR) prend la parole, il ne fait pas une proposition de société, il a la vérité. Nous croyons à l’autodétermination des peuples. La solution viendra des gens et pas d’individus qui penseront à la place des gens.
Nous réalisons une satire du pouvoir. Nous montrons la réalité sans prendre position.
Mêmes les hommes animés par des idées extrêmement généreuses, parce que ce sont des individus et qu’ils ont le pouvoir, foutent la merde. Le pouvoir corrompt.
Quel que soit le propos, ce qui nous intéresse est de montrer que le pouvoir en tant que tel est un problème. Il crée une dichotomie entre les gens qui sont du côté du pouvoir et ceux qui le subissent au quotidien. Le chômage est vraiment significatif de cela.
Le seul fait de différencier le chômeur du travailleur montre bien que le pouvoir n’est pas démocratique.
Nous restons tout de même dans une société où la majorité des gens vivent par leur force de travail or ils sont pénalisés sur base de ce concept-là. Et ce n’est pas le souhait des gens d’être pénalisés quand ils ne travaillent pas. »
Vous montrez la dictature du travail puis la dictature du bonheur. Comment le bonheur peut-il être dictatorial ?
« Ce n’est pas exactement cela qu’on dit. Imposer le bonheur aux gens ce n’est pas possible. Si on décide que le projet d’une société c’est le bonheur, on va devoir mettre en place des critères aussi idiots que lorsqu’on dit le projet d’une société c’est le travail. On va devoir juger les gens et leur poser des questions aussi idiotes qu’est-ce que tu es heureux?”, Non. « Qu’est- ce qu’on peut faire pour toi ? »
Il y a ce côté assez cruel de la réalité, la révolution entraîne forcément une baisse de la condition humaine. Ce qui suit la révolution n’est pas rose, elle est sacrificielle au moins pour deux ou trois générations. C’est un des problèmes de fond d’une révolution populaire. Le problème de notre chômeuse qui veut être top model, c’est quel est dans la révolution et que le bonheur, elle l’envisage sur les critères d’avant la révolution. Cela montre qu’il n’y a pas moyens de résoudre tous les problèmes tout de suite.
Et ce problème demeure encore secondaire face à un pouvoir capitaliste qui continue à être reçu par tous les pouvoirs politiques.
Le spectacle peut amener à une discussion et que chacun émette un avis qui est entendu. Nous souhaitons un débat par rapport à la réalité. Et nous terminons d’ailleurs le spectacle par la lecture d’un article sur le chômage dans un quotidien du jour. »
Dernière ligne droite, cette semaine pour assister à cette comédie de et par Transquinquennal, qui se joue jusqu’au 30 mai à Bruxelles au théâtre de l’L (PAF200F).
Corine Barella
(paru dans le quotidien belge francophone Le Matin, 25 mai 1998)
« Chômage » de et par : Lula Béry, Bernard Breuse, Miguel Decleire, François Joinville, Serge Larivière, Fransesco Mormino, Stéphane Olivier, Isabelle puissant, Pierre Sartenaer, Anne Sylvain