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#MoiDanielBlake : « Je suis un homme, un citoyen, pas un chien, ni un profiteur! »

« Moi, Daniel Blake » est l’implacable réquisitoire de Ken Loach contre les politiques d’austérité. Minutieusement, il démontre comment le système broie impitoyablement le chômeur, l’enferme dans une logique d’exclusion et le conduit à sa perte.


[UPDATE En novembre 2018, Philip Alston, le Rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme a pointé dans un rapport accablant les conséquences dévastatrices des politiques d’austérité menées par les Tories (droite conservatrice) depuis 10 ans. Quatorze millions de personnes, soit un cinquième de la population, vivent dans la pauvreté alors que la Grande Bretagne est la 5e économie mondiale. Il souligne que le gouvernement persiste à en nier obstinément les conséquences néfastes  et de s’opposer à des solutions déjà préconisées par d’autres acteurs officiels britanniques. En 2019, Theresa May a déclaré la fin des politiques d’austérité sans rien améliorer concrètement au contraire.]

Dans « Moi, Daniel Blake », Ken Loach montre le degré d’inhumanité que notre société a choisi d’infliger au chômeur, victime expiratoire d’une logique barbare où l’Etat accule les privés d’emploi à la misère et la faim, les terrorise pour qu’ils en sortent sans leur en offrir l’opportunité, bien au contraire. « Moi, Daniel Blake » est un cri de colère, un cri d’alarme et aussi un coup de semonce. On ne peut pas faire pire, on ne peut que tendre à réinjecter de l’humanité dans un monde d’inacceptables violences qui nient à des êtres vivants leur humanité et tout droit à la vie.

La Palme de la discorde

Mai 2016. Ken Loach récompensé pour la seconde fois à Cannes de la Palme d’Or pour « Moi, Daniel Blake », j’exulte ! L’info fut traitée ce matin-là, sur les ondes de La Première (RTBF), avec la plus grande condescendance. Quelle déception pour le critique, quelle joie indescriptible pour la chômeuse : ce film-là sur le sort des chômeurs, ce film-là gagnait la Palme d’Or à Cannes !!!! Une fois encore le Festival posait un geste politique fort. Et au lieu de pouvoir savourer ce moment, j’ai dû souffrir une imbuvable diatribe antisociale, encore une, un Ken Loach dépeint comme un vulgaire propagandiste d’extrême-gauche et son scénariste, Paul Laverty qualifié de « plus manichéen des scénaristes » de Ken Loach. Ce film n’avait vraiment pas le niveau pour le critique. Il a réitéré sa diatribe ce matin dans « Entrez sans frapper » (source: RTBF, La Première, 26/10/2016). Et contrairement à ce que répète à l’envi Hughes Dayez, ce n’est pas un film de propagande d’extrême-gauche (visiblement c’est l’insulte suprême dans sa bouche)! Extrême-gauche, c’est dénigrant, le bon terme c’est gauche anticapitaliste (au moins ça informe), et étrangement, cette gauche-là est extrêmement critique du pouvoir, actuellement très à droite. « Il y a des gens de droite qui sont des gens bien » selon Hughes Dayez. C’est ça le manichéisme du scénario? Je ricane. Le film ne parle pas des « gens de droite » et de leur absence de bonté intrinsèque, le film critique les politiques de droite austéritaires, ne pas confondre … Si c’est de la propagande, donc mensonger, c’est forcément manichéen.

C’est tout l’inverse mais seule #ChômeuseProfiteuse peut le confirmer, comment le critique pourrait-il le savoir ? C’est même effrayant comme le film colle de près à la réalité, même la nôtre, ici en Belgique. Hughes Dayez n’a aucune idée de ce qu’est notre réalité, croire que le film dénature la réalité est la preuve de son ignorance.

Il a loupé l’universalité du propos de Ken Loach, qui n’a, heureusement, pas échappée au jury cannois. Et la démonstration est juste brillante, on rit, on pleure. Tout y est. Cette critique assassine, qui défend sans arguments sérieux, que le film ne mérite pas la Palme, est fondée uniquement sur des préjugés de classe et une ignorance de la condition sociale des chômeurs. Si vous n’êtes pas en colère, mais quelle personne êtes-vous Hughes Dayez?

(NDLR: Après Cannes, Ken Loach a aussi remporté chez lui la plus haute distinction des BAFTA: celle de « Film Britannique Remarquable », le 12 février 2017.)

Suivez donc le guide pour un voyage en classe #opprimé des deux côtés de la Manche.

« Cette constante humiliation pour survivre, si vous n’êtes pas en colère, quelle personne êtes-vous? » déclare Ken Loach (1) ; « cette atmosphère de peur
permanente est inacceptable »
(2).
Daniel Blake (le personnage du film) : « C’est une vaste plaisanterie, cherchez des boulots inexistants, alors que je suis malade et ne peux pas travailler, tout ça pour m’humilier ».

Je ne suis pas un numéro,
je suis un homme libre

Le film démarre sur une scène hilarante, le questionnaire d’une « professionnelle de la santé » que subit Daniel Blake, menuisier de 59 ans, rescapé d’une crise cardiaque. On lui pose une longue série de questions ineptes comme les gestes qu’il peut poser, sans tenir compte des avis médicaux rendus, son médecin lui interdit le retour au travail. La boîte américaine qui emploie la « professionnelle de santé » pour déterminer, via questionnaire, l’invalidité de Daniel Blake est un sous-traitant du Ministère de l’Emploi et des Pensions (DWP), elle n’attribuera que 12 points et il en faut 15 pour obtenir l’allocation d’invalidité (Employment and Support Allowance, ESA). Bienvenue dans « Brazil ».

Daniel reçoit une lettre de refus de l’ESA qu’il peut contester mais n’a pas reçu l’appel téléphonique, obligatoire, pour lui communiquer la décision de refus, et s’il fait appel de la décision, il doit d’abord attendre le bon vouloir du même tâcheron pour le re-convoquer à la date qu’il choisit, pour le réévaluer, et confirmer son premier avis – of course – avant que ce soit un juge qui tranche. Et pendant ce temps là, pas d’alloc (sinon à quoi bon jouer la montre), donc il se retrouve en « Jobseeker’s allowance » (JSA, allocation du chercheur d’emploi) et doit suivre le plan d’accompagnement imposé par son Jobcentre (NDLR: équivalent des Forem / Actiris / VDAB / ADG) qui implique de chercher activement un emploi.

Grâce à cette politique d’exclusion systémique de l’invalidité (ESA), le DWP a économisé 12 milliards au budget de la sécurité sociale en 2014 (source : BBC News 13/05/ 2015).

Il faut s’imaginer ce que c’est que de vivre sous un gouvernement plus extrémiste que le nôtre encore (si si ! C’est possible). La controverse a fait rage autour des coupes budgétaires dans les allocations des chômeurs durant toute la législature de David Cameron. A la tête du DWP, un conservateur impitoyable, Ian Duncan Smith, qui avait prévu de fêter ça. Inutile de dire qu’il a dû annuler quand sa petite fête a fuité dans la presse (source : The Guardian).

Crédit vidéo : Glenda Jackson, comédienne révérée au théâtre et oscarisée pour « Women in love » en 1971, députée travailliste (Labour) de 1992 à 2015, attaque la politique du DWP de Ian Duncan Smith et ses conséquences dévastatrices au Parlement britannique (BBC Parliament 30/06/2014).

Ken Loach expliquait ce mois-ci au JT de Channel 4 que les recours en invalidité (ESA) sont massivement jugés en faveur des chômeurs, vu que les décisions de refus ne sont pas basées sur les dossiers médicaux, mais sur ce questionnaire imbécile, et qu’il y a un médecin avec le juge pour vérifier le droit du patient à son invalidité, donc le gouvernement (Tories) met sciemment un système de déni systématique des droits en oeuvre (pourvu que Maggie De Block ne voit pas ça !) .

Avec 21,2% de pauvres en Belgique et 23,5% en Grande Bretagne, ici comme Outre-Manche, le recours aux banques alimentaires n’a cessé d’augmenter. (Source SPF Intégration sociale 2016 / UE chiffres 2015)

Rappelons que la moitié des familles pauvres britanniques ont au moins un membre qui travaille. Le taux de chômage du Royaume Uni est très bas, moins de 5% mais la pauvreté explose, comme en atteste le boom des banques alimentaires depuis l’instauration des sanctions en 2013, de même que le nombre de travailleurs qui cumulent deux jobs et n’arrivent toujours pas à nouer les deux bouts, une des causes est évidemment un salaire minimum bien trop faible comme l’ubérisation des jobs en indépendant qui ont littéralement explosés et ne sortent pourtant pas ceux qui les occupent de la misère.

Les banques alimentaires européennes n’ont nourri que 5 millions d’Européens pauvres en 2009 mais 5,8 millions en 2014 (source: FEBBA chiffres 2015) quand 55 millions d’Européens souffrent de la faim et ne mangent pas tous les jours en UE. L’Europe austéritaire se porte, elle, très bien, la bonté intrinsèque de ses politiques d’activation saute aux yeux! Combien parmi eux sont victimes du système des sanctions et exclusions liées à l’activation des sans emploi? La faim justifie les moyens …

L’argument fallacieux de la fraude

Alors pour mettre tout le monde à niveau, à défaut d’être d’accord, les dépenses de sécurité sociales liées au chômage en Grande Bretagne représentent 3% du budget mais les Britanniques croient qu’elles mangent 41% du budget (ici aussi, le Belge ignore que ce sont les soins de santé qui occupent le premier poste de la sécurité sociale). Le DWP estime lui-même la fraude sociale à (roulement de tambours…) 0,7% ! Mais il y a mieux, les Britanniques estiment que la fraude, elle, est de 27% ! (source: YouGov Poll, janvier 2013).

CQFD! Manipulez bien une opinion publique, avec l’aide des médias, et vous obtenez toute latitude pour implémenter un système qui va réduire les droits et satisfaire à l’objectif budgétaire ultime de réduction du déficit public aux dépens de ceux qui en ont le plus besoin. Et comme Daniel Blake, ils ont tous cotisé des années dans le système pour se faire jeter comme des malpropres, une fois nécessiteux. La non-réclamation des droits sociaux est quant à elle estimée à 24%, vu que la demande est informatisée et uniquement disponible sur le web, le « digital by default », on imagine aisément quel type de public, ne réussira pas à rentrer la demande, sans compter qu’il est plus que probable qu’il ignore qu’il y a bien droit.

15,5% des 21,2% de pauvres vivent sous le seuil de pauvreté en Belgique = 1.704.000 pauvres (Source : SPF Intégration sociale 2016)

Le film de Ken Loach ne montre rien d’autre que l’oppression du plus faible par le plus fort, dans un système autocratique tout dévoué à faire du chiffre en nombre d’exclusions plutôt qu’en nombre de personnes aidées et soutenues dans l’adversité.

Une étude menée conjointement par le DWP et Oxford City Council a démontré que le fait de sanctionner les chômeurs ne leur faisait pas retrouver du travail plus vite, c’est même le contraire (Source : The Independent 6/06/2016). Exit l’argument de ultra-droite que la sanction et la misère ‘incitent’ à retrouver du travail.

L’étude publiée en 2018 par  la London School of Economics qui démontre que les sanctions et les conditions d’accès à la sécurité sociale sont en fait des moyens de restreindre les droits et d’envenimer la situation des bénéficiaires sert de base à une proposition de changement de cap en Ecosse. L’Ecosse considère qu’il faut changer le système et retirer la conditionnalilté autant que les sanctions pour que le droit à la sécurité sociale remplisse son rôle en tant que droit de l’Homme.

En 2019, la commission parlementaire « travail et pension » a décidé d’investiguer le recours à la prostitution pour survivre des chômeurs, surtout des chômeuses sur base de rapports alarmistes émanant du secteur associatif  de l’aide aux démunis.

Rappelons que depuis le début des exclusions de l’allocation d’insertion, quelque 20.000 chômeurs wallons (plutôt des chômeuses) ont disparu des statistiques, ils ne bénéficient d’aucune autre allocation sociale et n’ont pas retrouvé d’emploi (disparu de la banque carrefour de la sécu). Si le Forem n’est pas encore devenu le Jobcentre britannique, les CPAS, eux, s’en rapprochent dangereusement, le questionnaire digital de demande d’allocation en moins, ce serait irréaliste de pousser à tout rendre digital vu la fracture numérique en Belgique, et la pauvreté qui fait que tout le monde n’a pas de connexion internet, voire d’ordinateur ou même de smartphone ni ne sait s’en servir. « Digital by default » (digital par défaut) serine-t-on au Jobcentre, « Pencil by default » (crayon par défaut) rétorque Daniel Blake, menuisier.

Pourquoi Ken Loach a fait « Moi, Daniel Blake »

Parce que c’est dans son ADN anticapitaliste. Parce que la colère est son moteur et l’injustice le révolte profondément. C’est aujourd’hui, en Grande Bretagne, la démonstration d’une violence insondable de l’Etat contre ses citoyens, dont Ken Loach sait qu’elle se vit ailleurs en Europe. Le cinéma politique engagé peut contribuer à changer le monde, changer les mentalités, influencer le politique, modifier des lois, insuffler des nouvelles idées ou pousser à la révolte…

50 après « Cathy Come Home » qui racontait comment une famille était brisée par le chômage et finissait sans abri, Ken Loach est toujours animé de la même colère sourde et revient avec son film le plus marquant. A l’instar de « Cathy Come Home » qui connut un impact politique considérable tant le film choqua l’opinion publique comme la classe politique britannique, « Moi, Daniel Blake » laissera une marque historique, les manifs sont déjà nombreuses devant les Jobcentres depuis la sortie du film en Grande Bretagne.

En 1966, « Cathy Come Home » diffusé sur la BBC, regardé par un quart des Britanniques (12 millions de foyers) donnait à voir aux familles ébahies puis bouleversées que le système conduisait les familles touchées par le chômage au sans-abrisme. L’émoi est énorme, les dons affluent vers les ONG spécialisées dans l’hébergement des sans-abri, la loi est amendée, et le ministre convoque Ken Loach et son producteur à son cabinet (Source : « Versus, The Life And Films of Ken Loach », BBC 2016).

« Punir les pauvres fait partie du projet de Cameron », déclare Ken Loach, très politique, juste après avoir remporté la Palme d’or à Cannes pour la seconde fois, à ce jour, le seul réalisateur britannique à connaître cet honneur, « il ne sert à rien de montrer mon film au gouvernement », ajoute-t-il, « ce n’est pas un accident si les pauvres sont punis d’être au chômage, c’est le but, c’est ce qui doit arriver, parce que leur modèle de société produit du chômage et si les gens questionnent ce modèle de société, ils sont perdus« . (Source : The Guardian 31/05/2016 ).

La politique d’austérité européenne ne promeut rien d’autre. C’est particulièrement visible dans les pays européens avec une haute protection sociale, où son démantèlement, au lieu de prévenir et protéger de la misère, ce qui était sa mission initiale, fait plonger ses citoyens privés d’emploi dans la misère, tout cela au nom de la solvabilité des finances publiques déficitaires.

Ca fait totalement sens, économiquement, de pousser de plus en plus de citoyens vulnérables à la banqueroute financière pour que l’Etat, lui, reste solvable …

« Des gens affirment parler au nom de la classe ouvrière, mais il n’y a aucun mouvement politique mainstream qui comprend ou représente leurs intérêts: la sécurité de l’emploi, avoir un toit, des soins de santé, une pension décente, tout ça. Les principaux partis politiques soutiennent un système économique qui ne va pas permettre ça. Les syndicats ont une énorme responsabilité à couper le cordon avec le parti travailliste (NDLR Labour en anglais), parce que le Labour est un parti qui soutient l’économie de marché. Et l’économie de marché ne va pas nous donner ce qu’on veut. Donc aussi longtemps que les syndicats soutiendront le Labour, nous ne progresserons pas ». Ken Loach (Source : The Observer, 11/05/ 2014)

Ken Loach s’est toujours revendiqué de la gauche anticapitaliste. Il a d’ailleurs claqué la porte du Labour, le PS britannique, et de ses « blairites » (suivistes de Blair, ex-Premier Ministre Labour, le Di Rupo local, lui aussi a voté la chasse aux chômeurs et le workfare) pour fonder sa propre formation politique, fin mars 2015, Left Unity. Mais il est enthousiasmé par les changements intervenus au sein du Labour depuis l’élection de Jeremy Corbyn (la gauche la plus radicale qu’ait jamais connue le Labour) à sa tête, à tel point qu’il lui a même consacré un film documentaire pendant sa dernière campagne électorale, en septembre 2016.

Ken Loach nous rappelle la nécessité et l’urgence d’un cinéma politiquement engagé, comme celui des Frères Dardenne chez nous, qui parle des gens ordinaires et raconte leurs petites et grandes misères, les injustices insupportables qu’ils subissent, pour réveiller nos consciences endormies par la propagande massive qui nous conditionne chaque jour à revendiquer nos servitudes, nous déshumanise et nous divise, et tente de nous faire avaler que du système économique qui cause notre perte viendra notre salut.

« Nous devrions tous être en colère parce que nous avons autorisé notre société à être organisée de telle sorte que ce soient les plus vulnérables qui souffrent le plus », explique Ken Loach dans une interview video au Guardian.

« A cause de la propagande de la télévision et de la presse, les gens sont des profiteurs et ne méritent pas de soutien. Certaines personnes vont se faire avoir et avaler ça » renchérit-il. Son scénariste, Paul Laverty, complète: « Nous sommes face à une diabolisation des plus défavorisés, cela a pris du temps pour que le franc tombe, mais les gens commencent à voir que le monde est façonné de manière très très injuste ».

Dave Jones, qui tient le rôle principal de Daniel Blake : « J’ai été vraiment très choqué de voir comment le système fonctionnait, moi qui n’en avais plus eu besoin depuis la fin des années 70. Maintenant, c’est comme de traverser un champ de mines où tout est fait pour que vous n’obteniez pas ce à quoi vous avez droit, qu’on appelait la sécurité sociale, où tout le monde cotisait et puis avait accès en cas de besoin. Selon mon expérience personnelle, les gens veulent travailler, mais dès que vous avez besoin de la sécurité sociale, vous êtes un paresseux qui ne veut pas travailler, c’est monter les gens les uns contre les autres ».

« Cruelty, like every other vice, requires no motive outside of itself; it only requires opportunity. » George Eliot

« Beaucoup de gens ont quitté leur emploi dans les Jobcentres dégoûtés par ce qu’on leur demandait de faire », renchérit Ken Loach, »beaucoup sont d’ailleurs dans le film et nous ont raconté leur histoire pendant le tournage. Un chômeur blessé hésite à accepter de se laisser emmener en ambulance parce qu’il est terrifié d’être gardé à l’hôpital et de risquer de rater son rendez-vous au Jobcentre. Créer un tel climat de peur, c’est inacceptable ». (2)

Le personnel des Jobcentres joue un rôle central dans le film et si Paul Laverty était si manichéen que ça, il n’aurait pas montré les différentes facettes des employés chargés d’encadrer les chômeurs. En effet, les dés étaient pipés, une fois la politique de durcissement des sanctions contre les chômeurs votée, il fallait voir des résultats immédiats, donc le scandale du quota d’exclus demandé par le DWP a été dévoilé par ceux qui devaient le mettre en oeuvre et subissaient une pression énorme, du véritable harcèlement, pour atteindre le niveau d’exclusion exigé par le manager de chaque Jobcentre. Le syndicat du personnel des Jobcentres visés a aussi confirmé que leurs affiliés leur racontaient les mêmes pratiques. Les accusations ont été examinées par une commission parlementaire qui n’a pas jugé cela suffisant pour poursuivre. (Source : The Guardian 20/01/2015 , document parlementaire ).

Le DWP a récompensé grassement ses tops managers de la sanction systématique avec des bonus, entre 2013 et 2015 : £139,9 millions de bonus ont été distribués au senior management du DWP. (Source : The Independent 7/11/2015)

Les tâcherons du système dépeints par Ken Loach, rejettent toujours la prise de décision sur un supérieur invisible, alors que ce sont eux qui la prennent. C’est assez violent la manière dont le système britannique dépersonnalise complètement toute la relation entre le chômeur et le contrôleur, et le fait de vouloir aider un sans emploi qui ne s’en sort pas avec internet est jugé comme « un dangereux précédent » par la manager du Jobcentre qui réprimande l’employée coupable.

Les contrôleurs ici sont supposés, c’est dans la loi, tenir compte des capacités du chômeur pour qu’on ne puisse pas lui imposer des tâches qu’il est incapable d’accomplir (comme d’envoyer des emails quand on n’a ni email, ni ordinateur, ni connexion internet et pourtant ça arrive malgré tout et le chômeur ignore évidemment que la loi le protège de ça en Belgique et surtout le contrôleur en tient compte s’il choisit de le faire, et non systématiquement dans la pratique).

Le pauvre Daniel Blake est lui obligé de tout faire par internet et ne s’en sort pas, il est menuisier, il n’a jamais touché à un ordinateur, et c’est vraiment galère pour lui. Mais Outre-Manche, on est « digital by default », donc on a rendu l’inscription obligatoire via internet, pas une inscription comme au Forem où on se réinscrit, c’est tout, mais bien un document de questions à remplir long comme le bras (et ici, la relation « client » n’est pas que virtuelle, on peut se rendre dans un service pour le faire ou le faire par téléphone).

Il n’y a plus une once d’humanité dans les rouages britanniques, toutes les institutions aux mains d’une droite ultra sont déjà passées totalement du côté obscur de la force.

En Grande Bretagne, il n’y a plus de dialogue du tout au Jobcentre comme le montrent les différents rendez-vous de Daniel Blake, il n’y a plus que des obligations et si on a des « bonnes raisons » de ne pas s’y conformer, ça n’a aucune espèce d’importance, la sanction tombe, aveugle, automatisée. Chez nous, cela reste très subjectif et la soumission est attendue du chercheur d’emploi, on n’est pas à égalité, c’est un processus autocratique, on est là pour obtempérer mais il y reste encore une marge de négociation, ténue, pour les plus hardis, même si ceux qui choisissent de mener leur projet d’emploi de manière autonome ne sont pas toujours soutenus (un comble). Ici aussi on signe un « contrat d’accompagnement » sous la contrainte avec menace de sanction pour « refus d’accompagnement » sinon, ce qui devrait être illégal, qui contient des « plans d’actions »  prédéfinis (c’est une base de donnée informatisée) mais l’implacabilité du Jobcentre serait plus proche du CPAS que des Forem/Actiris, même si une logique identique reste à l’oeuvre. Ce qu’on voit dans le film, c’est vers ça qu’on va (très vite) ici (si on se laisse faire …).

Et ceux qui ne chercheraient pas alors, ça existe pourtant bien ?

D’abord qu’on crée des emplois en suffisance, et après on verrait qui sont réellement les réfractaires et pourquoi (parce qu’on a aussi le droit de choisir sa servitude ou alors on vit en dictature …). En pleine pénurie d’emploi, ça n’a aucun sens, sauf si on aime harceler, torturer moralement les gens et les culpabiliser soi-disant pour les « responsabiliser » d’une chose dont ils ne sont en rien responsables et n’ont aucun moyen de contrôler.

Ceux qui encadrent la recherche d’emploi inexistant ne sont ni formés à repérer et identifier la dépression, ni les signes de suicides, ni les problèmes de déficit intellectuel voire l’illettrisme ou une diversité de problèmes mentaux, mais ils vont vous dire que des chômeurs ou des bénéficiaires de RIS « ne cherchent pas », soit qu’ils n’ont pas compris, n’ont pas trouvé que ça faisait sens, ou que c’était utile voire efficace, ou qu’il n’aimait pas ce qu’on les force à faire, voire sont trop malades, épuisés moralement, physiquement, financièrement, et ce sera pris pour argent comptant car seul compte, in fine, le jugement du tâcheron qui décide de notre sort.

La loi n’est pas remplie d’empathie pour nous, elle a été pensée pour nous nuire, et ces gens-là ont une marge de manoeuvre énorme pour son application.

C’est toujours le pot de fer contre le pot de terre. Deux visions du monde s’affrontent: la réalité de l’un est directement impactée par l’ignorance et l’aveuglement de l’autre quant à la situation du premier, donc si les représentations du monde des deux parties ne coïncident pas, c’est le clash. Le problème, c’est que le découragement fini toujours par s’installer et mener une recherche active sans succès met les chômeurs en dépression, surtout les plus motivés qui y croient. Des études psy européennes le montrent : les plus motivés sont ceux qui tombent le plus dans une dépression profonde. Et un sentiment d’impuissance s’installe accompagné d’une forme de résignation, le sentiment qu’on est « foutu » et que « rien ne sert plus à rien ». Le chômage parce qu’il se vit très mal, c’est le but, produit un effet domino de conséquences contre-productives qui servent à justifier de rendre la vie encore plus infernale aux chômeurs, c’est donc un système parfait, un cercle vicieux dont on ne peut jamais sortir !

Sauf si on admet que le chômage n’est pas un problème individuel mais bien un choix sociétal où le chômeur n’est qu’un pion dans un jeu de quilles et qu’il ne sert à rien de le culpabiliser ou de l’appauvrir et de le jeter de la sécu, ça ne créera aucun emploi vacant de plus, ça ne créera que des problèmes en cascade, qui auront un coût important pour la collectivité (pour les sans coeur qui voient tout en termes de coût).

Daniel Blake est un chômeur attachant, idéal même, parce qu’il a des valeurs (celles que Ken Loach attribue à la classe ouvrière, c’est un « workingclass hero ») et ça ne vaut pas tripette sur le marché de l’emploi ces valeurs-là : l’honnêteté, la droiture, le respect, la compassion, la solidarité, quand le marché ne prône que la compétition exacerbée entre travailleurs au lieu de la collaboration. D’ailleurs, faites le test, dans n’importe quelle agence d’intérim, présentez votre CV et on vous dira qu’il faut l’améliorer, bref mentir, ôter des choses, les maquiller, si on a été malade de longue durée par exemple, voire en enjoliver, s’inventer des hobbies parce qu’il faut « séduire » un recruteur qui reçoit deux tonnes de CV, puis on viendra reprocher leur malhonnêteté aux sans emploi alors que ce sont les professionnels du recrutement qui encouragent à mentir. L’ex-Secrétaire du DWP sous Cameron, Ian Duncan Smith ne fait d’ailleurs que faire appliquer ses propres recettes aux Jobcentres. Newsnight (émission politique phare de la BBC) a enquêté sur son CV et en a dévoilé les mensonges (19/12/2002).

L’opprobre contre les privés d’emploi, c’est d’extrême droite!

Le vote pro Brexit, essentiellement défendu par l’extrême droite (UKIP) et au sein du parti conservateur (Tories) au pouvoir a été, pour les Britanniques exclus de la prospérité depuis des décennies, un moyen de dire « fuckoff » à ce gouvernement impitoyable qui n’a pas vu venir la révolte des gueux. En 2004, ici, nous avons aussi connu une poussée du vote d’extrême droite, un vote de défiance des laissés-pour-compte, notamment.

Aujourd’hui, singulièrement, tout comme le Labour prend un virage radicalement à gauche, le PTB fait des scores dans les intentions de vote et mange les voix du PS, à qui on doit pas mal de législations antisociales difficiles à oublier. Ce sont pourtant bien les partis « traditionnels » (PS, MR, cdH, côté francophone) qui ont mis en oeuvre les revendications des partis d’extrême droite en Belgique.

« La stigmatisation des chômeurs, elle aussi, nourrit l’extrême droite » titrait une carte blanche (Le Soir 21/06/2004 ) car le contrôle dispo de l’ONEM avait été voté par les PS (les trahisons du PS ne se comptent plus …) et MR, des deux côtés de la frontière linguistique. La généralisation du « workfare » en Belgique suivit ainsi le modèle ultralibéral venu tout droit des Etats-Unis, après un crochet en Grande Bretagne.

« Le Vlaams Belang et le Front National (belge) ont des conceptions claires par rapport aux chômeurs. Ces deux partis entendent en effet réduire les indemnités versées aux demandeurs d’emploi, contraindre ceux-ci à effectuer de petits boulots pour conserver leur allocation, inciter les femmes qui travaillent à rentrer à la maison et, à terme, démanteler la sécurité sociale. De tels projets plaisent assurément à l’électorat aisé des partis d’extrême droite. En revanche, tant le VB que le FN se gardent bien d’expliquer cela aux chômeurs dont ils cherchent à capter les voix. Ils leur désignent plutôt des boucs émissaires.

Les chômeurs, ainsi que toutes les personnes qui connaissent des difficultés économiques, souhaitent se sentir pris en compte et, surtout, voir leur situation sociale s’améliorer.

Lorsqu’il se porte vers le FN ou le VB, leur suffrage exprime ce malaise. Bien plus qu’une idiotie, leur vote est un signal d’alarme envoyé au monde politique qui semble avoir renoncé à une politique volontariste de création d’emplois de type keynésien« , rappelaient les politologues Jean Faniel (ULB), Olivier Paye (Facultés Saint-Louis), Pierre Verjans (ULg) et le sociologue Mateo Alaluf (ULB).

Et d’avancer des chiffres sidérants, vu que la pénurie d’emploi est, selon le patronat, un vaste enfumage, il n’y aurait qu’une pénurie de candidats adéquats et pléthores d’offres non pourvues :

« Le nombre de chômeurs est 10 à 30 fois supérieur aux emplois vacants, selon les régions. A défaut de leur fournir un emploi, le gouvernement violet entend donc faire porter aux chômeurs la responsabilité de leur situation. Sans craindre de les faire passer pour des fainéants et des profiteurs ». Ce gouvernement-là aussi prétendait créer des emplois dont nous n’avons jamais vu la couleur …

Atelier CV. La scène illustre parfaitement cette situation extrême en Grande Bretagne, où la disproportion entre le nombre de personnes en recherche et le nombre ténu de postes vacants est fortement déséquilibrée et en défaveur des sans emploi. Pour 8 jobs, une entreprise a reçu 1300 candidatures. Le boulot du chercheur d’emploi, c’est de faire un CV pour « sortir du lot » même si le recruteur « ne passe que 10 secondes dessus« , explique le spécialiste du CV. C’est ça LA solution. Donc les 1292 candidats malheureux sont tous coupables d’avoir un « mauvais » CV ? On ne sortira pas de l’ornière avec des conseils d’une débilité aussi abyssale !

Et si on commençait par créer les emplois qui manquent (au hasard) ? Inutiles d’oser persifler sur la pénurie d’offres, c’est un argument inaudible dans les services de l’emploi et chez la plupart des non-chômeurs aussi d’ailleurs. Daniel Blake, lui, écrit son CV au crayon qu’il remet en main propre à des employeurs, sans penser à demander des preuves écrites comme un reçu, ce qui lui vaut une sanction. Et ici, aussi il faut aussi être bureaucratiquement correct et prouver des recherches chaque semaine, même si certains employeurs refusent de donner des preuves sous prétexte que le chômeur ne voudrait pas vraiment travailler et qu’il ne fait ça que pour les preuves, or le chômeur doit respecter la loi, c’est la quadrature du cercle…

A vous de juger, au final, si ce système est révoltant ou se justifie, mais bien informé, des tenants et des aboutissants.

Ceux qui ne vivent pas notre vie de merde au chômage passent leur temps à la juger sans la connaître, les premiers étant ces tâcherons sans compassion qui nous sanctionnent parce qu’ils le peuvent, en toute subjectivité. Imaginez-vous vous-même, avec tous vos préjugés (si si vous en avez), questionner un chômeur dépressif, mal odorant, peu qualifié, qui n’a pas une seule preuve de recherche d’emploi, ses enfants placés, est surendetté et sur le point de se faire expulser de son logement, et a, en plus, un problème d’alcoolisme et une attitude relativement agressive.

On verra alors le niveau de compassion dont vous serez capable dans le remplissage d’un questionnaire informatisé de contrôle qui ne prendra aucun de ces facteurs en compte car il est orienté résultat :

  • Avez-vous bien cherché un emploi avec preuves (document imprimé sur papier) à l’appui?
  • Etes-vous bien inscrit dans au moins une agence d’intérim?
  • Avez-vous au moins 8 recherches d’emploi par mois, dont deux par semaine (ne pas cherchez toutes les semaines est mal vu) ?
  • Avez-vous reçu des réponses d’employeurs (il en faut au moins 10% sinon c’est suspect) ?
  • Avez-vous envoyé des candidatures spontanées?
  • Si vous postez les courriers, avez vous les photocopies des enveloppes timbrées ?
  • Si un employeur vous écrit, avez vous l’enveloppe timbrée (une lettre non timbrée est suspecte)?
  • Si vous vous êtes présenté quelque part, en avez-vous la preuve ?

C’est ça le problème, toute la réalité vécue par le sans emploi est évacuée pour que ne reste que la soumission à des objectifs chiffrés décidés sans tenir compte du contexte.

Parfois, un contrôleur sera plus clément, mais le problème de fond ne changera pas, cela restera subjectif, comme le montre bien le film: la logique n’est pas d’aider, la logique est de contraindre en toutes circonstances et en dépit des conséquences abominables de son déclassement social pour le privé d’emploi, facteur majeur qui contribuera à l’éloigner encore plus du marché de l’emploi.

Dans le film, Katie est sanctionnée d’une privation de quatre semaines d’alloc pour son arrivée tardive au rendez-vous au Jobcentre parce qu’elle ne connaît pas la ville est et vient en bus ! Aucune clémence ne lui est montrée, aucune excuse n’est admissible. Les sanctions tombent automatiquement. Et la fois suivante, ce sera 13 semaines de sanction, récidive, et le paiement peut être supprimé pendant au maximum … 3 ans ! Est-ce que c’est vraiment justifié, dans l’absolu, de ne plus pouvoir manger à sa faim, de ne plus pouvoir se chauffer, parce qu’on est arrivé en retard à un rendez-vous au Forem/Actiris?

Travail forcé, délation : ça ne marche pas sauf idéologiquement

Ce n’est pas évoqué dans le film mais c’est bon à savoir. Contrairement à la Belgique, la Grande Bretagne a un site de la délation anonyme de la fraude sociale. Sur les cinq dernières années, 85% des dénonciations anonymes ont été classées sans suite parce que non corroborées par les faits. On voit l’ineptie d’un tel système ou la malveillance fait perdre beaucoup d’argent en vérification des plaintes à l’Etat. Par ailleurs, les Tories ont expérimenté avec l’obligation de travailler gratuitement pour mériter ses allocations (Mandatory Work Activity). Mais historiquement, c’est le Labour au gouvernement, avec Tony Blair comme Premier Ministre, qui l’a introduit fin des années 90 (les trahisons des socialistes anglais ne sont pas tristes non plus !). En clair et sans décodeur le travail forcé des chômeurs (welfare to work =>workfare) sous les Tories était de 30 heures par semaine obligatoires pendant 6 mois sous peine de se voir couper les vivres (72£/semaine étant le niveau de l’allocation minimum des chômeurs concernés).

Ce fut une mesure si controversée dans l’opinion publique qu’elle a conduit les employeurs partenaires : des entreprises privées, des ONG, à retirer leur participation. Il faut dire que c’est allé loin : un homme viré de sa boîte y a été replacé de force gratuitement par le DWP, ce qu’il a refusé s’il ne retrouvait pas le même salaire (le salaire minimum, une misère £7,20/h pour les plus de 25 ans, c’est moins si on est plus jeune comme chez nous), et a été sanctionné vu que c’était obligatoire! (sources : The Guardian 3/11/2014)

Les Tories ont donc dû faire marche arrière, revoir les diverses formes de sanctions dans différents projets de mise au travail gratuit pour finalement, abandonner le Mandatory Work Activity en 2015 car les employeurs potentiels ne voulaient plus y participer ou alors il fallait que ce soit sur base volontaire. (Source : The Independent). En effet, les supermarchés Tesco ont été boycottés par leurs clients furieux qu’ils exploitent éhontément des chômeurs, ce qui les a conduits à proposer au DWP d’engager les personnes après la période de travail gratuit contraint (The Guardian). Toutes les formes de workfare n’ont pas disparu, notamment les jeunes chômeurs, et les sans emploi, subissent toujours diverses pressions pour se porter « volontaires » dans un programme de travail gratuit sous une forme ou une autre … Une coalition d’ONG fait campagne contre la workfare et pour le volontariat volontaire.

De surcroît, le DWP s’est battu en justice pendant quatre ans pour garder secrets les noms des employeurs participants au programme de #workfare (pour ne pas nuire à leur réputation). Finalement, un jugement a contraint le DWP à dévoiler cette liste d’exploiteurs de chômeurs. Selon le Boycott Workfare group, la période couverte est trop courte et il manquerait des noms (Source : The Independent 30/07/2016). Néanmoins, le grand public connaît désormais plus de 500 grands noms, des entreprises et des ONG, qu’ils peuvent désormais boycotter en représailles. Inutile de dire que ça ne conduisait pas à remettre les chômeurs dans un emploi rémunéré et que ça a coûté un pont à mettre en oeuvre …

Le Ministre Borsus (MR) vient tout juste d’introduire la mesure de travail forcé dit « service communautaire » pour les personnes au RIS du CPAS. (NDLR: La contestation a été payante en 2018, la loi a été reconnue anti-constitutionnelle). Le même Ministre veut aussi faciliter le passage du chômage à une activité d’indépendant principal, en assouplissant le démarrage d’une activité d’indépendant complémentaire pour les chômeurs, mais les chiffres britanniques de pauvreté des indépendants sont très alarmants : 80% sont pauvres (ubérisation oblige), et ils sont d’ailleurs au coeur des revendications et préoccupations du Labour de Jeremy Corbyn. Comme en Belgique, tout récemment, une réforme de l’aide juridique pour les pauvres a été mise en oeuvre en Grande Bretagne, sauf que c’est dix fois pire qu’ici. Comme les pauvres ne peuvent plus se payer du tout d’avocat, ils se défendent eux-mêmes, contre des avocats professionnels. Dire que la justice n’est plus vraiment rendue aux pauvres britanniques est un euphémisme.

Ni scalpel, ni coupes chirurgicales, mais une violence brutale, le saccage à la hache, de la protection sociale, les Tories attaquent tout le monde du travail : les familles pauvres qui travaillent, les enfants pauvres, les handicapés, les jeunes, les vieux, les personnes dépendantes, l’allocation logement, le tax credit, les pensionnés, etc. le tout dans la non-transparence la plus absolue! Non seulement ils mentent sur les chiffres, mais en plus ils refusent le plus souvent de publier les données comme ça, ce n’est pas réfutable facilement, alors que la loi les y oblige.

Il est donc crucial d’avoir une presse d’investigation, ainsi le Guardian a enquêté sur les coupes dans les allocations des chômeurs et a découvert que le DWP mentait en prétendant que ça n’affectait quasi-personne, que c’était plutôt l’exception, alors qu’en réalité, c’était devenu la règle. Selon le Guardian, un chômeur sur six avait été sanctionné. Le nouveau gouvernement de Theresa May et son nouveau Secrétaire du DWP prétendent qu’il n’y aura plus de coupes dans les allocations de chômage mais des mesures déjà approuvées doivent entrer en vigueur qui prévoient le contraire. De même que des diminutions d’allocation prévoient d’aggraver les pièges à l’emploi ainsi ceux qui reprennent le chemin du boulot dans des très bas salaires, n’y gagneront plus rien. Le travail ne paiera plus.

Les pauvres pensionnés vont subir une nouvelle « bedroom tax » qui va amputer leur revenu déjà trop faible. La « bedroom tax » est une des mesures les plus inégalitaires des Tories, elle diminue les allocations des personnes en logement social qui ont « une chambre ou plus » de trop. Ainsi, si on a deux enfants, ils doivent partager une chambre. (Source : The Guardian 27/01/2016). Les personnes qui la subissent sont tombées dans la pauvreté, n’ont plus pu payer le loyer, voire ont été expulsées de leur logement. La Cour d’Appel a d’ailleurs jugé la mesure « discriminatoire et illégale«  (Source: The Independent 22/07/2016)

Enfin, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies accuse l’austérité en Grande Bretagne de porter atteinte aux Droits de l’Homme, vu que le recours aux banques alimentaires a fait un boom extraordinaire en l’espace de 3 ans, c’est une évidence incontestable ; de l’analyse même de ceux qui gèrent les banques alimentaires, la première cause est le retard de paiement et les sanctions des allocations depuis 2013, date de mise en route de la systématisation des refus de droit et des sanctions instaurées par les Tories (Sources : The Newstatesman 29/06/2016, The Guardian).

Espérons que d’ici la fin de sa législature, la droite belge, qui partage le même idéal de déshumanisation des travailleurs que les Tories, n’aura pas le temps de nous faire tomber au niveau des Britanniques, mais clairement nous prenons ici le même chemin! Un film tel que celui-ci va contribuer à réduire la division entre les travailleurs avec et sans emploi, et inciter à plus de solidarité, voire à une saine révolte contre ces politiques austéritaires mortifères.

Allez voir le film. Emmenez-y des non-convaincus, surtout, ceux qui n’ont jamais chômé ou juste une semaine voire un mois (tous les « yaka » qui savent mieux que nous comment bien chercher), des indépendants, des chefs d’entreprise, des syndicalistes, des enseignants, aussi, plus il y aura de gens différents qui pendant une heure quarante vivront une plongée dans notre monde, plus ça permettra peut-être d’ouvrir un dialogue sur une autre base que les clichés et les poncifs (enfin sauf avec certains critiques de cinéma). Une conversation, – pas un interrogatoire piégeant -, dépourvue de haine et de reproches, ça nous ferait un bien fou !

Corine Barella (© All rights reserved)

Cet article a été publié en 2016 sur actuchomage.info.

Musique conseillée: Dead Kennedys – Kill the poor

NB: pour la petite histoire, en Belgique une poignée de chômeurs activistes de « Chômeur, Pas Chien! » dans les années 90 déjà, se battaient contre l’arbitraire de l’ONEM. Pour un chômeur belge, être méprisé, traqué, traité comme un chien, ça ne date pas des politiques d’activation, elles n’ont fait que généraliser le processus …

(1) « Ken Loach: If you’re not angry, what kind of person are you? » The Guardian, 15/10/2016

(2) Ken Loach on I, Daniel Blake: ‘The climate of fear is unacceptable’ – video

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