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Dégressivité

(Mis à jour) Chômeuse Profiteuse 1 – ONEM 0!

Chômeuse Profiteuse remporte la première manche de son combat contre la dégressivité au Tribunal du travail de Liège. A l’audience ce 20 janvier après-midi, l’Auditorat du travail a rendu un avis favorable à la plaignante. L’Auditorat a réfuté l’argument d’irrecevabilité de l’ONEM et abondé dans le sens de l’avocat de la FGTB, Me Bruyère qui reprenait l’argumentaire du Prof. Daniel Dumont sur la violation du standstill attaché à l’article 23 de la Constitution. (Suite à l’épidémie de coronavirus, le jugement du 16 mars 2020 a été reporté à une date indéterminée).

Recevabilité contestée par l’avocate de l’ONEM

Vu que la dégressivité est en droit une décision positive, l’ONEM ne notifie pas formellement, mais applique la dégressivité. Pour le recours, la plaignante a déposé l’information reçue par son syndicat sur les paliers qui allaient lui être appliqués. Le recours est considéré comme recevable par l’Auditorat.

Recul significatif de la protection sociale accordée à un public fragilisé

L’avocat de la FGTB Me Bruyère plaide que le recul du niveau des allocations de chômage par palier est un recul du droit précédemment accordé (sur base du travail) très significatif, disproportionné et qui violerait le standstill de l’article 23 de la Constitution et renvoie Chômeuse Profiteuse à la solidarité familiale.

L’auditorat a calculé que la perte d’allocation de chômage de la plaignante atteint 170,56 euros entre le premier et le dernier palier de dégressivité. Depuis 2015, Chômeuse Profiteuse vit au forfait de la dégressivité.

La dégressivité est-elle justifiée?

En l’absence de justification dans l’arrêté royal, l’Auditorat a demandé à l’ONEM de préciser quelles sont les justifications de la décision d’imposer la dégressivité aux chômeurs.

Lapidaire, l’ONEM a répondu que ce n’était pas à lui de justifier les décisions prises par l’exécutif à sa place. Me Bruyère a soulevé quant à lui que l’argument budgétaire n’était pas le seul argument invoqué par le Ministre de l’Emploi, que l’incitation à retrouver du travail l’était aussi dans une coupure de presse versée au dossier.

La dégressivité n’insère pas dans l’emploi

Chômeuse Profiteuse a elle été contrôlée 5 fois sur sa recherche active d’emploi  depuis 2009 et démontre donc que la dégressivité n’a aucune incidence sur le fait de retrouver un emploi surtout si on le cherche activement.

Du fait que le seul argument invoqué par l’ONEM serait « la situation de crise budgétaire du gouvernement » à l’époque, pour instaurer la dégressivité, l’auditorat dans son avis a trouvé l’argument trop léger.

En outre, aucune justification ne vient étayer le fait que cette mesure répondrait à l’intérêt général ni ne justifierait le niveau du recul quant à sa proportionnalité.

La dégressivité est qualifiée de recul disproportionné et l’Auditorat du travail confirme que le standstill est bien violé et considère dès lors le recours de Chômeuse Profiteuse comme fondé.

Le Président du Tribunal du travail demande, lui, à Chômeuse Profiteuse d’apporter la preuve de l’aide financière que lui apporte sa famille pour pallier au manque financier dû à la dégressivité accrue du chômage.

L’avocate de l’ONEM répliquera par écrit endéans le mois.

Le prononcé du jugement sera rendu le 16 mars 2020.
Ref dossier : 2014 / A / 420999
 
L’avis complet de l’Auditorat du travail
 

L’avis de l’Auditorat du travail de Liège
1.
La jurisprudence considère que l’obligation de standstill est fondée sur l’article 23 de la Constitution garantissant des droits sociaux, culturels et économiques.

Le principe de standstill a été envisagé en matière sociale en ce que le législateur ne peut « réduire le montant des prestations sociales sans expliquer les raisons qui le poussent à changer de politique » (Isabelle Hachez, « Le principe de standstill dans le droit des droits fondamentaux : une irréversibilité relative« , R.B.D.C.,2007/2,p. 80).
La jurisprudence a également considéré que l’obligation de standstill s’applique en matière sociale et que le juge peut ainsi écarter l’application de dispositions contraires à cette obligation (voy.not. C.T. Liège, 08/11/2013, Patricia K. c/AWIPH, RG n°2012/AL/532 et C.T. Bruxelles, 10/02/2012, INAMI c/PP, R.G. n° 2010/AB).

2.
Toutefois, l’obligation de standstill est relative et non absolue. La Cour de Cassation a ainsi considéré que

« L’article 23 de a Constitution implique, en matière d’aide sociale, une obligation de standstill qui s’oppose à ce que le législateur et l’autorité réglementaire comptéents réduisent sensiblement le niveau de protection offert par la norme applicable sans qu’existent pour ce faire de motifs liés à l’intérêt général » (Cass, 15/12/2014, S.14.0011.F, JTT, 2015,p. 118 ; voy. également Cass., 18/05/2015, S.14.0042.F., juridat.be)

Les critères de « recul significatif (ou sensible) » et d' »intérêt général » apparaissent comme les deux éléments clés (F. Lambinet, « Obligation de standstill et pratique administrative en matière d’aide sociale« , Bulletin Social Juridique, Mars 2014, p. 6).
L’on retient également que le recul ne peut pas entrainer « des conséquences disproportionnées pour la substance du droit atteint » (P. Gosseries, « La crise économique, monétaire et sociale 2008-2014 » in L’impact de la crise sur la sécurité sociale, Larcier, 2014, p. 48 ; D. Roulive, Le contentieux en matière de chômage, Larcier, 2015, p. 38) : ainsi, il convient d’examiner s’il n’existe pas des mesures moins restrictives susceptibles d’atteindre le même objectif (D. Dumont, « Dégressivité accrue des allocations de chômage versus principe de standstill« , JT, 2013, p. 774).

Il a déjà été rappelé qu’une restriction adoptée pour des motifs budgétaires relève de l’intérêt général (C.T. Bruxelles, 10 février 2012, INAMI c/PP, RG n° 2010/AB).

3.
Il ressort du préambule (rapport au Roi) de l’arrêté royal litigieux que l’urgence n’a pas été invoquée devant la section législation du Conseil d’Etat, laquelle a donc rendu son avis dans le délai de 30 jours prévus à l’article 84, § 1er, alinéa 1er, 1°, des lois sur le Conseil d’Etat, corrodonnées le 12 janvier 1973. Dans son avis 51.467/1, donné le 21 juin 2012, le Conseil d’Etat n’a pas évoqué le principe du standstill.

Il est constaté que l’introduction de cette mesure n’a nullement été justifiée dans le rapport au Roi. A cet égard, la cour du travail de Liège a considéré (C.T. Liège (div.Namur) 06.11.2018 2016.AN.152) :
« S’agissant des motifs d’intérêt général avancés par l’autorité pour justifier le recul de protection sociale constaté, ils ne doivent pas nécessairement résulter du texte lui-même, de son préambule ou de ses travaux préparatoires, mais peuvent être fournis a prosteriori par son auteur (1).
A raison, la doctrine insiste cependant sur le caractre nécessairement plus strict du contrôle de conformité de l’article 23 de la Constitution de l’activité législative et réglementaire dans l’hypothèse des motifs qui n’ont pas été exprimés a priori mais qui ont été avancés après coup – avec une crédibilité potentiellement moindre quant à leur réalité ou quant au sérieux de la réflexion préalable à l’adoption du recul en cause, qui sont exprimés de manière vague ou stéréotypée plutôt qu’approfondie, voire qui restent inexistants (2)« .

4.
Concernant la charge de la preuve, la cour du travail de Liège a également considéré que (C.T. Liège (div. Namur) 06.11.2016 2018AN.152) :
« En ce qui concerne la charge de la preuve du respect ou de la violation de l’obligation de standstill, elle incombe, s’agissant de la validité d’un acte de l’autorité législative ou réglementaire, à cette autorité ou, en son absence, à la partie qui invoque son acte légal ou réglementaire (3). Par application du principe général de légalité, il appartient en effet à l’autorité, dès lors que son action est contestée ou au moins dès qu’un recul de protection sociale est établi, de démontrer avoir agi légalement et dans e respect des normes de niveau supérieur qui s’imposent à elle (4).« 

a) En l’espèce
1
Madame se plaint de la dégressivité des allocations introduite par l’article 19 de l’arrêté royal (5) du 23 juillet 2012. En synthèse (6) :
« – désormais, la dégressivité s’applique non seulement aux cohabitants mais aussi aux chefs de ménage et aux isolées durant la deuxième période d’indemnisation ;
– urant la troisième et dernière période d’indemnisation, les chefs de ménage et les isolés retombent également, tout comme les cohabitants, à un montant forfaitaire équivalent au minimum d’allocation de chômage » ;

Madame étant isolée, la dégressivité a eu l’impact suivant (7):
(NDLR schéma onem dégressivité isolé)

L’on constate donc que l’allocation minimale est identique avant et après la réforme. Toutefois l’allocation maximale diminue fortement.

2
L’ONEM confirme que Madame a « donc réellement été impactée par la dégressivité à partir du 01.11.2013 suite à la prise en considération de son passé professionnelle » (notre dernière pièce). L’on constate en effet que l’allocation journalière est passée de 43,22 EUR à 41,91 EUR au 01/11/2013. La différence par mois était donc de 34,06 EUR (43,22 – 41,91, multiplié par 26). La dégressivité a continué et l’allocation a atteint son montant minimal de 36,66 EUR par jour le 05/05/2015. La différence par mois était donc de 170,56 EUR (43,22 – 36,66, multiplié par 26). Selon notre office toute diminution des allocations sociales constitue en principe un recul significatif, dès lors que l’on réduit les moyens de substistance d’un public généralement fragilisé (8). En outre, les diminutions concrètes subies par l’intéressée confirment notre position.

3
Ce recul est-il justifié par l’intérêt général et proportionné ? Aucune justification n’a été avancée par le Roi. Notre office a interrogé l’ONEM quant à ce, lequel a répondu qu’il « n’appartient pas à l’ONEM d’expliquer la raison de l’introduction de la dégressivité« . Notre office constate toutefois que durant la procédure ayant mené à l’arrêt C.T. Liège (div. Namur) 06.11.2018 2016.AN.152, l’ONEM avait produit l’avis du Comité de gestion de l’ONEM qui avait été rendu dans le cadre de l’adoption d’un autre arrêt litigieux. La doctrine est également d’avis qu’il revient à l’ONEM de s’exprimer sur ce point dans le cadre d’une procédure judiciaire (9). Tel n’est pas le cas en l’espèce.

A défaut de justification avancée lors de l’adoption de l’arrêté royal et postérieurement, notre office considère que le principe de standstill est violé.
L’application de l’arrêté royal litigieux ayant introduit une dégressivité des allocations de chômage au détriment de Madame doit donc être écartée.

5. Conclusions
Le recours est recevable et fondé.

(1) Voy. I.Hachez, « Le principe de standstill dans le droit des droits fondamentaux : une irréversibilité relative« , Bruxelles/Athènes/Baden-Baden, Bruylant, 2008, p.438;
F. Lambinet, « Mise en oeuvre du principe de standstill dans le droit de l’assurance chômage : quelques observations en marge de l’arrêt de la Cour de Cassation du 5 mars 2018« , disponible sur  http://www.terralaboris.be/IMG/pdf/lb_061_standstill_cho_mage_terra_laboris_18iv07.pdf
(2) D. Dumont, op.cit., n° 53 et les références citées
(3) Voy. I. Hachez, op. cit., p. 437 et ss et les références citées
(4) Voy. e.a. : C. Cambier, droit administratif, Bruxelles, Larcier 1968, p. 250 ;
H. Mormont, « La charge de la preuve dans le contentieux judiciaire de la sécurité sociale« , R.D.S. 2013/2, p. 369 et 393 et les références citées (…)
(5) Arrêté royal modifiant l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant la réglementation du chômage dans le cadre de la dégressivité renforcée des allocations de chômage et modifiant l’arrêté royal du 28 décembre 2011 modifiant les articles 27, 36, 36ter, 36quater, 40, 59quinquies, 59sexies, 63, 79, 92, 93, 94, 97, 124 et 131septies de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant la réglement chômage.
(6) http://www.luttepauvrete.be/publications/degressivite.pdf page 9
(7) http://www.luttepauvrete.be/publications/degressivite.pdf page 11
(8) Voy. le risque de pauvreté qui, après la réforme, pour les personnes isolées, augmentent de 20,4% après 19 mois de chômage et jusqu’à 60,2% après 49 mois de chômage http://www.luttepauvrete.be/publications/degressivite.pdf page 17)
(9) « A l’occasion des litiges à venir, les juridictions du travail pourront interroger l’ONEM et à travers lui, le gouvernement, sur les éléments suivants. Quel est en définitive, le motif d’intérêt général dont se prévaut le gouvernement pour justifier le recul significatif induit par la dégressivité accrue des allocations? S’agit-il d’accroître l' »incitation » à chercher du travail? S’agit-il plutôt de se conformer à un impératif budgétaire? L’objectif estil autre encore? Ensuite, la réforme orchestrée est-elle apte à atteindre le but poursuivi et, surtout, s’est-on assuré qu’il n’existe aucune autre mesure moins régressive susceptible d’y parvenir? Enfin, est-il démontré que le rabotage par paliers des allocations, à supposer qu’il soit approprié et nécessaire, n’entraîne pas un préjudice dispropportionné dans le chef des bénéficiaires d’un revenu de remplacement en cas de prolongation involontaire de la privation d’emploi? Puisque le gouvernement n’a pas jugé utile de s’expliquer sur ces différentes questions, puisque les parlementaires n’ont pas eu leur mot à dire sur le sujet, et puisque le Conseil d’Etat, gardien de la constitutionnalité de la manoeuvre, s’est défaussé, il faut maintenant qu’un débat puisse avoir lieu dans le cadre judiciaire. Dans ce débat, on ne perdra pas de vue qu’en raison de l’absence de toute motivation formelle du recul, les explications fournies par le gouvernement devront être reçues avec prudence par les juges, afin d’éviter les reconstructions de toutes pièces a posteriori« . (Dumont. D., « Dégressivité accrue des allocations de chômage versus principe de standstill« , J.T., 2013/39, n°6541, p. 775).

Verdict ONEM 1 – Chômeuse Profiteuse 0 !

Et malgré cet argumentaire de l’Auditorat en ma faveur, j’ai finalement perdu, les juges considérant que je n’apportais pas de preuves en suffisance de ma paupérisation (sic).
J’avais ajouté du concret aux conclusions de mon avocat (mandaté par mon syndicat, la FGTB) à sa demande, qui n’avait pas jugé bon de tout garder, et avait supprimé une bonne partie de mes ajouts alors que le jugement en ma défaveur souligne l’absence d’éléments concrets.
De surcroît, des pièces manquaient à mon dossier, des cinq contrôles Onem « dispo » réussis en premier entretien, seuls deux apparaissaient dans le dossier. Les juges ont enfin carrément ignoré le fait que je prouvais le soutien financier de mes parents. Vu l’absence de disponibilité de mon avocat pour me prendre simplement au téléphone et mon absence de voix au chapitre de ma défense, seul compte ce que veut le syndicat, j’ai donc décidé de me défendre seule, en appel du jugement du Tribunal du travail, devant la Cour du travail de Liège.

Je ne peux pas proposer ici et maintenant l’analyse de mon verdict car j’attends d’avoir écrit et déposé mes conclusions finales pour le faire.

Les plaidoieries sont fixées au 11 février 2021 à la Cour du Travail de Liège.

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